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Comment le nuage a touché la France ?

L’évènement frappa les esprits. Une auditrice d’une radio populaire se plaignit d’avoir retrouvé les fleurs de son balcon flétries après le passage du nuage de Tchernobyl. Si les effets des gamma du nuage avaient été radicaux, ce ne sont pas seulement les fleurs du balcon qui auraient été flétries ! Les effets de la radioactivité mettent bien plus qu’une nuit – des années – à se manifester …

En ce début mai 1986, “le nuage de Tchernobyl qui s’est arrêté à nos frontières ” entre dans l’Histoire. Les rapports du SPCRI – l’organisme en charge de la protection contre les rayonnements ionisants, s’étaient voulus rassurants. Selon un principe de la protection civile, il ne fallait pas alarmer outre-mesure les populations : “la France est touchée, mais le niveau d’exposition reste partout faible, très inférieur aux seuils pouvant entraîner des conséquences pour la population”. Les cartes établies plus tard confirmeront que la France avait été moins touchée, du fait de l’éloignement, que d’autres pays européens situés plus à l’est.

En mai 1986, les données recueillies sur le terrain à l’époque sont fragmentaires. Le nuage de Tchernobyl est survenu à l’improviste, prenant les spécialistes au dépourvu. Des mesures de contamination au sol ont bien été effectuées par les techniciens chargés du suivi des retombées des essais atomiques des années 1960 ou du contrôle de l’environnement autour des centrales nucléaires, mais ces mesures étaient loin de couvrir l’ensemble du territoire. Il a fallu reconstituer les détails manquants.

Deux cartes ont été publiées en 1997 et 2003, par l’IRSN, l’Institut de Protection de Sûreté Nucléaire (anciennement IPSN). Pour établir a posteriori une carte des retombées radioactives en France, l’IPSN s’est pour la première carte basé sur des mesures de contamination d’aliments effectuées dans les deux mois ayant suivi l’accident. Les dépôts au sol ont été reconstitués à l’aide d’un modèle décrivant le transfert de la radioactivité dans la chaîne alimentaire.

Carte de 1997
Cette carte des retombées radioactives en France, prise comme une référence jusqu’en 2003, a été établie par l’IRSN en 1997 à partir de mesures de contamination d’aliments (laits et légumes feuillus) effectués dans les deux mois ayant suivi l’accident. Les dépôts au sol de césium-137, un radioélément représentatif des retombées, sont été reconstitués à l’aide d’un modèle (logiciel ASTRAL) décrivant le transfert de la radioactivité dans la chaîne alimentaire. La France apparaît découpées en 4 zones. La carte ne fournit que des moyennes et ignore les pointes locales de contaminations qui peuvent être élevées.
© IRSN

L’alimentation constituant le risque principal, cette carte des retombées radioactives a été considérée comme une référence jusqu’en 2003. Elle ne fournissait toutefois que des contaminations moyennes. Elle a été critiquée comme trop peu détaillée et par certains comme sous-estimant les retombées.

Pour répondre à ces objections, l’IPSN, devenu entre-temps l’IRSN, proposa en 2003 une carte plus détaillée, basée sur un autre modèle. Ce modèle prend en compte les précipitations des pluies du début mai 1986, la pluie jouant un rôle primordial pour rabattre la radioactivité au sol.

Carte 2003
Cette nouvelle carte de l’IRSN en 2003 est plus détaillée. Elle prend en compte des précipitations des pluies en France au moment de l’arrivée du nuage radioactif et repose sur un modèle de contamination de l’air. La carte se raccorde mal aux frontières avec la carte de la Communauté Européenne établie à partir de mesures réelles. Un exemples: près de Vintimille (A), les dépôts passent de 1 à 2 kBq/m2 du côté italien à 20-40.
© IRSN et Atlas de Tchernobyl (Source A.Aurengo)

La carte de 2003 des contaminations au sol en 1986 basée sur ce modèle montre des dépôts de radioactivité en hausse par rapport à la carte de 1997. Elle présente certains défauts.

Aux frontières, les valeurs ne se raccordent pas avec les pays voisins. Si l’on se fie à la carte, le nuage de Tchernobyl se serait chargé de radioactivité en franchissant la frontière. Enfin, la contamination de l’eau de pluie calculée par le modèle apparaît surestimée 5 à 20 fois là où elle est confrontée aux quelques mesures effectuées à l’époque à proximité des centrales nucléaires de l’Est.

Ces cartes médiatisées, l’ancienne comme la nouvelle, sont à considérer avec une pincée de sel. Dans le cas d’un phénomène aussi complexe que les retombées de Tchernobyl, il n’est pas sûr que l’objectif de reconstituer une carte détaillée et précise des retombées soit atteignable.

Diminution naturelle de la contamination des aliments
A partir de 1987, un an après Tchernobyl, la contamination des productions agricoles provient de l’absorption par les racines du césium radioactif présent dans les sols et non plus des dépôts sur les feuillages et l’herbe comme dans les semaines après l’accident. Dès lors, elle est beaucoup plus faible et diminue régulièrement au fil des années. Aujourd’hui, la contamination des produits agricoles est 10 à 30 fois plus faible qu’en 1987, et 1 000 à 10 000 fois plus faible qu’immédiatement après les dépôts de mai 1986.
© Source IRSN

En 1986, les doses reçues par les populations les plus exposées de l’est de la France ne dépassaient pas 1 mSv (millisievert) par an, soit 40 % de la radioactivité naturelle.

En cette année 1986, les trois quarts des contaminations sont dues à la contamination des aliments, suivie par les dépôts au sol. L’inhalation représente 10 % . Le passage du nuage (rayons gamma) est marginal. A partir de 1987, la contamination de la chaine alimentaire a beaucoup diminué. Vingt ans après, les doses annuelles reçues étaient de 50 à 100 fois plus faibles. Les rayonnements émis par ce qui restait des dépôts de césium au sol étaient devenus prédominants.

Un an après l’accident (1987) la contamination des produits agricoles ne se fait plus à partir des dépôts radioactifs sur les feuilles et l’herbe. Elle passe par l’absorption par les racines du césium 134 et 137 présent dans le sol, un processus beaucoup moins favorable. En 2006, la dose reçue par la population française du fait de la contamination héritée de l’accident de Tchernobyl n’est plus que 0,010 mSv par an, l’équivalent d’un peu plus d’un jour de radioactivité naturelle. Les rayonnements émis par ce qui reste des dépôts de césium au sol étant devenus prédominants, la part de la contamination par des aliments ne représente plus qu’un sixième des 0,01 mSv annuels.

Quelle a été l’influence de l’iode-131 sur les cancers de la thyroïde en France ? En 2000, une étude de l’IRSN et de l’Institut national de veille sanitaire estimait qu’entre 7 et 55 cancers de la thyroïde pourraient apparaître en excès entre 1991 et 2015 parmi les 2,3 millions d’enfants de moins de 15 ans qui résidaient dans l’est de la France en 1986. Ces incidences sont à comparer aux 899 cancers spontanés de la thyroïde qui devraient apparaître durant cette période au sein de la même population. Un éventuel excès de 7 à 55 cancers de la thyroïde associés aux retombées de l’accident de Tchernobyl, sera très difficile à mettre en évidence par une étude épidémiologique, la marge d’erreurs sur les 899 cancers naturels étant de 60.