Guerre en Ukraine : Zaporijia
Le conflit qui oppose Russie et Ukraine depuis le 24 février 2022 a exposé plusieurs sites nucléaires dont celui de la centrale de Tchernobyl, aujourd’hui hors des zones de combats, et la centrale de Zaporijia, qui, quant à elle, se trouve sur la ligne de front et se trouve par là-même exposée à des bombardements et à des coupures d’alimentation menaçant sa sureté.
La centrale comprend 6 réacteurs du type VVER de 1 000 MW de puissance chacun. Ces sont des réacteurs à eau pressurisée (REP) dont le principe de fonctionnement est proche de celui des réacteurs du parc français. Les cinq premiers sont entrés en service entre 1985 et 1989, et le sixième en 1995. Disposant d’une puissance électrique totale de 6 000 MW, la centrale de Zaporijia est la plus puissante d’Europe en 2022, et fournit en temps de paix 20% de l’électricité ukrainienne. L’enceinte des réacteurs VVER 1000 est constituée d’une épaisse paroi en béton précontraint renforcée du côté intérieur par une “peau” métallique en acier.
Comme pour les REP, la piscine de stockage du combustible usé est à l’intérieur de l’enceinte de confinement du réacteur, qui assure leur protection. Les combustibles usés, après leur premier refroidissement en piscine, sont stockés dans des conteneurs d’entreposage à sec, laissés à l’air libre et moins protégés.
Il est difficile en temps de guerre d’avoir une description objective de la situation. Des explosions ont lieu sur le site de la centrale, des bâtiments proches des réacteurs ont été atteints. Maîtresse de la centrale, l’armée russe à installé à proximité des armes lourdes avec lesquelles elle bombarde l’armée ukrainienne. Celle-ci réplique en bombardant l’artillerie russe. Jusqu’ici les réacteurs eux-mêmes n’ont pas été touchés. Cette situation critique peut dégénérer à tout moment en accident majeur et entrainer des rejets importants de radioactivité.
Une mission de l’AIEA , acceptée des deux parties, a visité la centrale au début septembre 2022. Elle y a constaté la présence de soldats et de matériel militaire russes en divers endroits de la centrale, dont des véhicules stationnés dans les salles des turbines. Après la visite, l’AIEA estimant que « les bombardements sur le site et dans les environs devaient cesser immédiatement, a réclamé la mise en place d’une « zone de sécurité » pour prévenir un accident nucléaire, c’est-à-dire une zone que les belligérants ne bombardent pas (Kiev, les Nations unies, les pays occidentaux alliés de l’Ukraine, demandaient la « démilitarisation du site », le retrait des soldats russes).
Les spectres de Tchernobyl (dont la dernière unité a été arrêtée en 2000) et Fukushima hantent naturellement les esprits. Des accidents de refroidissement peuvent-ils se produire comme à Fukushima ? La situation est très différente. Une alimentation électrique, en provenance de la centrale ou de l’extérieur, est disponible pour garantir les refroidissements nécessaires après l’arrêt des réacteurs. Par ailleurs, les besoins de refroidissements sont diminués, la plupart des réacteurs ayant été arrêtés depuis des semaines voire des mois. Le , 2 unités seulement étaient encore actives.
Les enceintes abritant les 6 réacteurs, conçues pour résister à des chutes d’avion, protègent dans une certaine mesure des bombes. En revanche, les installations de stockage à sec de combustibles usés situées hors des enceintes pourraient être touchées. Les combustibles usés ont perdu une partie de leur radioactivité, mais elle est encore importante et dangereuse. Dispersée lors d’un bombardement, elle serait à l’origine de rejets importants qui se propageraient au loin.
Les bombardements ont principalement touché les installations électriques. Ainsi, fin août, un endommagement des lignes à haute tension a provoqué une première déconnexion totale de la centrale de Zaporijia du réseau électrique ukrainien. Cette déconnexion a été de courte durée, et le , la centrale était rebranchée au réseau électrique, ses systèmes de sécurité fonctionnant normalement.
Après l’invasion, les installations électriques ukrainiennes ont été raccordées au réseau européen. Au début de l’occupation russe, les réacteurs alimentaient encore l’Ukraine en électricité, mais la situation s’est dégradée et ils ont été peu à peu presque tous déconnectés. Début septembre, les unités en fonctionnement assuraient encore les besoins en électricité de la centrale, dont ceux liés à la sûreté, la connexion avec le réseau ukrainien intervenant en cas de manque.
Mais, samedi 10 septembre, le dernier réacteur en service a été mis à l’arrêt. Un mois après un arrêt, les besoins en refroidissement sont descendus à 1,5 millièmes de ceux du réacteur en fonctionnement. Ils continuent de diminuer ensuite. Le refroidissement résiduel peut être assuré, écartant les risques d’un accident type Fukushima.
Le 20 novembre le site de la centrale était à nouveau bombardé. Toutefois le niveau de radiation semblait rester “conforme à la norme”. Selon le maire exilé de la ville d’Enerhodar qui abrite le gigantesque complexe de la centrale, les russes utilisent le complexe comme bouclier nucléaire pour y placer “du matériel militaire, des munitions et du personnel”.
Les militaires ukrainiens avaient des raisons de bombarder le site, mais les population proches de la centrale seraient les premières victimes des radiations si un réacteur était touché. En sens inverse, on imagine mal les russes s’autobombarder. Les deux parties, installées des deux côtés du Dniepr, s’accusèrent mutuellement, comme à la fin août, dans leur guerre de propagande.
Les dommages induits par les bombardements n’ont eu qu’un impact limité à ce jour. Ils n’ont pas causé de graves rejets de radiations sur place et à distance. Cependant, malgré l’accalmie qui a suivi le passage de l’AIEA, le risque demeure grand, avec les combats devenus proches. Les perspectives de paix ne sont pas d’actualité, et avec elles les jours où l’avenir de la centrale ne sera plus source d’inquiétude.
Voir aussi :
Enceintes de confinement
Tchernobyl aujourd’hui
Arrêt de réacteur
Risques : chûtes d’avion, guerres, terrorisme